-S.E. Monsieur Charles Rizk
-Monsieur Samir Frangié
-Maître Abdel Hamid Ahdab
-Monsieur Georges Dorlian
-S.E. Monsieur Charles Rizk
-Monsieur Samir Frangié
-Maître Abdel Hamid Ahdab
-Monsieur Georges Dorlian
Monsieur Camille Menassa
Les Rencontres Culturelles
Association à but non lucratif, elle a pour objectif de devenir un centre de réflexion et de rayonnement de la culture libanaise plurielle, et ce en organisant des conférences, des concerts et des expositions qui mettent en valeur son riche patrimoine humain et intellectuel.
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Le choc des projets
L’ÉDITO
Michel TOUMA |
L’orient Le Jour 10/11/2015.
Plongés dans les méandres de la politique politicienne et des manœuvres partisanes de tous genres qui focalisent sans cesse l’attention des médias, les Libanais en viennent à ne plus percevoir à sa juste valeur la véritable portée de la mutation enclenchée – mais non achevée – dans le pays à la faveur de la révolution du Cèdre au printemps 2005. La récente table ronde ayant pour thème « Michel Chiha, l’homme politique », organisée il y a quelques jours par les « Rencontre culturelles », aura permis de dégager, entre autres, deux idées maîtresses s’inscrivant dans le cadre de ce processus fondateur qui a éclaté au grand jour à la suite du funeste attentat du 14 février, il y a un peu plus de dix ans.
Samir Frangié soulignait notamment à cet égard que « Michel Chiha est fortement présent dans l’accord de Taëf ». Michel Chiha a en effet défini en quelque sorte les fondements du vivre-ensemble, et l’accord de Taëf a lié « la légitimité de l’État à sa capacité à préserver ce vivre-ensemble entre les Libanais », relève Samir Frangié qui précise que la légitimité de l’État n’est donc plus liée désormais à « une volonté nationale qui s’est exprimée à un moment déterminé, mais à une situation en développement permanent » (…), qui se concrétise par « une pratique de vie marquée par le voisinage immédiat des cultes et des liturgies » (…).
Cette « situation en développement permanent » a pris une nouvelle tournure, fondamentale, à la suite des réactions à l’assassinat de Rafic Hariri. La dynamique qui avait marqué alors « l’intifada de l’indépendance » avait constitué le premier élan populaire de l’histoire contemporaine du Liban dans le sens d’une convergence pluri-communautaire vers l’identité libaniste, telle que définie dans les écrits de Michel Chiha, ayant pour fondements le vivre-ensemble et l’attachement à la liberté ainsi qu’à la neutralité et une réelle indépendance du Liban.
Le début de l’adhésion de l’islam sunnite aux idées de Michel Chiha a été mis en évidence, lors de la table ronde, par Abdel Hamid el-Ahdab qui a relevé dans ce cadre « la prise de conscience » (libaniste) qui s’est opérée au sein de cet islam, comme conséquence de l’assassinat de Rafic Hariri.
C’est cette double idée de « prise de conscience » de la part des sunnites, d’une part, et de légitimité de l’État liée à la préservation du vivre-ensemble, perçu comme un « développement permanent », d’autre part, qui alimente le processus fondateur dont le pays est le théâtre depuis 2005, sur la voie d’une consolidation pluri-communautaire du projet libaniste.
Si cette dynamique bat de l’aile depuis plusieurs années, c’est parce qu’elle est confrontée à un autre projet d’une tout autre nature, à caractère transnational : celui du Hezbollah. Le parti chiite pro-iranien est en effet, du fait de sa doctrine politique définie dans les années 80, aux antipodes de la mutation cristallisée par la révolution du Cèdre. Son idéologie stipule explicitement une allégeance inconditionnelle au guide suprême de la révolution islamique iranienne (le waliy el-faqih) pour les grandes décisions d’ordre stratégique, ce qui implique que ses motivations et ses calculs politiques sont incompatibles avec l’option libaniste, basée essentiellement sur l’indépendance et la souveraineté.
Cela explique que depuis 2005, le Hezbollah applique une stratégie visant à empêcher de manière continue et par tous les moyens (violents) l’émergence d’un État fort et efficace. Son torpillage actuel de l’action du gouvernement, notamment en faisant obstruction délibérément à tout règlement de la crise des déchets (par acteurs civils interposés), n’est que le dernier épisode de cette politique permanente de sabotage systématique de la dynamique qui a éclaté au grand jour au printemps 2005.
La nouvelle crise qui ébranle aujourd’hui le pays est le reflet de la confrontation entre ces deux logiques politiques : l’une, souverainiste, qui prône l’édification d’un État rassembleur et performant, garant du vivre-ensemble, qui devrait se tenir à l’écart des axes régionaux pour se consacrer à la reconstruction – politique, économique et sociale – de la Maison libanaise ; et la seconde, mue par une idéologie à portée transnationale, qui depuis 2015 n’épargne aucun moyen pour torpiller la première ligne de conduite et tenter d’imposer l’ancrage du pays au nouvel « empire » régional des mollahs de Téhéran. Le plus désolant dans ce bras de fer existentiel est qu’une faction chrétienne censée être souverainiste – ou du moins qui l’était – accorde une précieuse couverture à un projet transnational par essence anti-souverainiste.
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Regards croisés sur la pensée de Michel Chiha et son adaptation au contexte politico-communautaire libanais actuel. La table ronde s’est déroulée jeudi soir à la cathédrale Saint-Élie des arméniens-catholiques, place Debbas.
L’Orienr Le Jour Tilda ABOU RIZK 07/11/2015.
« Michel Chiha, l’homme politique » : le thème de la table ronde organisée par Les Rencontres culturelles, en collaboration avec la Fondation Michel Chiha, jeudi soir, à la salle Boghossian de la cathédrale Saint-Élie des arméniens-catholiques, place Debbas, est vaste, aussi vaste que l’héritage politico-culturel de l’homme qui a été l’un des artisans de la Constitution et de l’esprit de la formule libanaise.
À travers quatre axes de réflexion, « Liban, hier une idée, aujourd’hui une cause », « la présence de Michel Chiha dans l’accord de Taëf », « l’islam politique et Michel Chiha » et « Michel Chiha ou les conditions d’une stabilité relative et durable », l’ancien ministre Charles Rizk, l’ancien député Samir Frangié (président du Conseil national des indépendants du 14 Mars), l’avocat Abdel Hamid Ahdab et le doyen de la faculté de lettres de l’Université de Balamand, Georges Dorlian, ont expliqué chacun l’adaptation de la pensée politique de Michel Chiha au contexte politique actuel libanais dans une sorte de jeu de rôle harmonieux devant mettre en relief les constantes indispensables pour un rééquilibrage politique interne. Au cœur de ces constantes, le vivre-ensemble dans le respect de l’autre qui tient une place de choix.
Faisant suite à l’exposé historique de Charles Rizk, qui rappelle les circonstances régionales et internationales grâce auxquelles l’indépendance libanaise avait pu être réalisée, – « l’indépendance du Liban, dit-il, s’est insérée dans un contexte régional en pleine mutation du fait de l’occupation allemande de la France » – les interventions de Samir Frangié, Abdel Hamid Ahdab et Georges Dorlian se complètent.
M. Rizk rappelle comment l’occupation de la France par l’Allemagne (1940) a remis en question les accords de Sykes-Picot et pavé la voie au Pacte national. Il rappelle ensuite le passage de la dualité religieuse au pluralisme confessionnel, un point sur lequel il a insisté en soulignant qu’« on n’aura rien compris aux idées de Michel Chiha, si on ne prend pas conscience de ce facteur ».
Charles Rizk établit un parallèle entre le Liban d’aujourd’hui et celui d’hier, à l’époque où il était possible de concilier la dualité politique et le pluralisme confessionnel, « ce qui, aujourd’hui, est impensable », étant donné les divisions communautaires et politiques. « Si Michel Chiha voyait le paysage communautaire du Liban d’aujourd’hui, il réfléchirait aux moyens de rebâtir le pays et si nous voulons le rebâtir, c’est en relisant Michel Chiha», commente-t-il.
Samir Frangié
Une des idées de base, dans la pensée de l’homme politique et du journaliste qu’était Michel Chiha, n’est pas de supprimer le confessionnalisme mais de faire de la diversité religieuse un atout pour édifier un État et parvenir à une stabilité grâce à un modus vivendi fondé sur le consensus et le vivre-ensemble, transcendant les idéologies identitaires. « Malgré beaucoup d’erreurs et d’abus, c’est le confessionnalisme qui a enseigné au Liban la tolérance », relève Samir Frangié, reprenant ce que Michel Chiha avait écrit en 1954.
C’est ce que l’accord de Taëf aurait pu notamment réaliser et c’est ce que l’islam sunnite a fini par réaliser. Samir Frangié et Abdel Hamid Ahdab développent tour à tour ces deux points.
« Le Liban, et nous en prenons conscience seulement aujourd’hui, est le seul pays au monde où chrétiens et musulmans sont associés dans la gestion d’un même État et le seul pays dans le monde arabo-musulman où sunnites et chiites sont également partenaires dans la gestion d’un même État », rappelle Samir Frangié qui cite Chiha en affirmant que « la reconnaissance de la diversité va se traduire par la volonté de vivre-ensemble (….) et ne relève pas d’un choix politique mais d’une pratique de vie marquée par le voisinage immédiat des cultes et des liturgies, par la longue habitude du vivre en commun, par la fréquentation, l’estime, l’amitié réciproque et la connaissance approfondie des uns et des autres. »
« Il va falloir cependant la guerre de 15 ans pour que les Libanais commencent à comprendre l’importance du vivre-ensemble et réaliser que le Liban ne s’identifie à aucune de ses composantes communautaires », constate Samir Frangié pour qui le vivre-ensemble est « le fondement même du Liban ». Celui-ci, note-t-il, sera consacré par l’accord de Taëf « qui lie la légitimité de l’État à sa capacité à préserver ce vivre-ensemble entre les Libanais ». « Cette conception de la légitimité est tout à fait nouvelle, celle-ci n’étant plus liée à une volonté nationale qui s’est exprimée à un moment déterminé, mais à une situation en développement permanent. (…)
L’accord met un terme à la logique communautaire en décidant d’arrêter “le décompte démographique” des communautés et de maintenir la parité au niveau de la représentation des communautés au sein du pouvoir. (…) En cassant la logique minoritaire, l’accord de Taëf libère les Libanais de cette “peur de l’autre” qui est le fondement même de toutes les politiques communautaires », relève Samir Frangié, en soulignant que c’est en adhérant à ce contrat social fondé sur le vivre-ensemble que les Libanais passent du statut de membre de communauté à celui de citoyen.
« Michel Chiha est fortement présent dans l’accord de Taëf qui, s’il avait été mis en application, nous aurait peut-être permis de refaire du Liban, cette belle et noble tentative de cohabitation paisible des religions, des traditions et des races », note Samir Frangié, qui pose un regard critique sur les priorités établies aujourd’hui par certains courants politiques. Il conteste ainsi les appels lancés par-ci par-là à de grandes réformes politiques au moment où les composantes du pouvoir sont incapables de « ramasser un sac de poubelle dans la rue ».
« L’évolution de l’islam politique sunnite »
Aussi nobles soient-ils, « les efforts de Michel Chiha pour apprendre à l’autre la tolérance et l’acceptation de l’autre dans sa différence ont été entravés par les politiques identitaires et les replis communautaires », rappelle l’ancien député.
Tous les Libanais sont encore loin d’y adhérer, mais aujourd’hui, plusieurs années plus tard, la pensée de Michel Chiha « trouve beaucoup d’échos au sein de l’islam politique sunnite », enchaîne Abdel Hamid Ahdab qui, après avoir rappelé l’ancien attachement identitaire sunnite à Abdel Nasser puis aux Palestiniens, met en relief « la prise de conscience » qui s’est opérée au sein de l’islam politique sunnite, consécutivement à l’assassinat de Rafic Hariri, en 2005. « Le changement n’est pas encore complet, mais nous sommes sur la bonne voie », dit-il, avant d’expliquer que l’islam sunnite, « fortement attaché à la liberté et à l’indépendance du Liban, joue plus ou moins aujourd’hui le rôle que les maronites jouaient autrefois ».
Lui aussi souligne l’importance de l’apport de Taëf au Liban, « cet accord adopté par l’islam politique mais hypothéqué par la Syrie ». « Maintenant, il faut nous adresser à l’islam politique avec les idées de Michel Chiha qui croyait religieusement à la liberté et à la démocratie », poursuit Abdel Hamid Ahdab en préconisant l’organisation de telles tables rondes à Basta, Tarik Jdidé… « partout où il y a des musulmans qui peuvent capter la culture de Chiha ».
Cette prise de conscience est l’un des piliers du consensus que Michel Chiha, l’homme politique, préconisait et qui a été mise en valeur par Georges Dorlian dans son intervention. Cette politique consensuelle, vecteur de modération, est d’autant plus importante, dit-il, qu’elle permet au Liban de préserver sa stabilité et de faire face aux dangers de domination ou d’annexion qui le guettent du fait de sa configuration géographique que le doyen de la faculté de lettres à Balamand explique comme suit, en citant Chiha : « Le Liban, comme la Méditerranée, occupe une place centrale : un passage obligé qu’il faudra soit dominer, soit annexer. »
Or, au fil de son histoire, le Liban n’a pas réussi à se doter des moyens devant le protéger contre ces dangers, selon les explications de Georges Dorlian, et notamment à pouvoir établir une cohésion nationale, nécessaire à une stabilité. Si Michel Chiha s’est appesanti dans ses écrits sur les origines et les racines du Liban, ce n’est point dans un souci idéologique, analyse-t-il, mais pour rappeler à ses compatriotes que « la libanité peut intégrer les expériences de tous les peuples qui les ont précédés » sur cette terre. « On ne relève pas chez Chiha de “Phénicianisme” primaire, ni d’arabisme exacerbé, ni d'”occidentalisme” démesuré, mais tout simplement une reconnaissance objective de l’expérience phénicienne et de la contribution de l’arabité dans la formation de la personnalité libanaise.
Il a pu ainsi créer un équilibre entre deux constituants importants de la libanité », souligne M. Dorlian, mais en faisant remarquer que « ce consensus n’a pas pu produire la stabilité tant enviée ».
Georges Dorlian note dans le même ordre d’idées l’échec du Liban à trouver l’équilibre nécessaire à une stabilité durable. « Nous passons d’un équilibre à un autre, d’une stabilité à une autre », dit-il, en rappelant les événements de 1958, les accords du Caire de 1969 puis de Taëf de 1989 puis de Doha en 2008, tous à l’origine d’une stabilité factice et éphémère, selon ses explications, au moment où le Liban a besoin d’apprivoiser ses différences.